Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rivé à une heure du matin dans la ville où la célèbre tragédienne jouait la comédie, il se présenta chez elle, au moment précis où elle rentrait harassée du théâtre, et où elle sentait dans ses entrailles une faim de cannibale. Cependant, doña Sol, qui est aussi bonne que belle écouta avec intérêt le jeune auteur, et même lui prit des mains le manuscrit et se mit tout de suite à en commencer la lecture. Le lendemain, impatient de savoir son sort, Bergerat courut chez Sarah ; mais naturellement elle était partie. Pour où ? Belle demande ! Pour Sumatra, pour les Bermudes, pour Yeddo, pour les îles Açores, pour Stockholm, pour l’Afrique noire, pour tous les pays, et dès lors, par tous les moyens connus de locomotion, Bergerat se mit à la poursuivre, comme dans une pantomime des Funambules ou dans un voyage de Jules Verne. Parfois ils se rencontraient, se croisaient une seconde, lui dans un ballon, elle dans un astre, au-dessus de la région des tempêtes, parmi les noires ténèbres striées d’or et ensanglantées de pourpre. D’une voix étouffée. Bergerat murmurait : Eh bien ? et de sa mélodieuse voix d’or qui résiste même aux ouragans du ciel, Sarah lui criait : Très bien, la scène trois du deux !

D’autres fois, c’était sur l’océan Pacifique, au milieu d’une horrible tempête ; montés l’un et l’autre sur des navires prêts à s’engloutir, ils se parlaient sous l’éclair en feu. Bergerat murmurait : Eh bien ? Et Sarah lui criait : Très bien, la fin du trois ! D’autres fois encore, dans la mer du Nord, près du pôle, ils se croisaient, montés chacun sur un iceberg et guettés par les ours blancs, et Sarah lui criait : Je vois pour le quatre une robe en peluche, d’un rose si pâle qu’elle en sera verte ! Bergerat avait vu tous les peuples, tous