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Il y a une certaine terrasse surplombante où, dans une guérite, claque des dents une sentinelle que je ne voudrais pas être. Le sol tonitrue sous ses pieds, et il vit proprement sur un tremblement de terre continuel. Il vous montre, tout pâle, un escalier taillé au fil à beurre, qui descend dans le gouffre par cent soixante-quatre marches dont je ne vous parle qu’en fermant les yeux, et qui suffirait à me guérir du vice de contrebande, si j’étais contrebandier. Il paraît que c’est par là qu’ils montent leurs cigares ! Je n’en crois pas un mot, s’il faut vous dire toute ma pensée.

J’oppose la même incrédulité à la légende qui veut que, pendant l’épouvantable siège de 1420, où les héroïques Bonifaciens affamés se nourrirent de fromage fait avec du lait de femme, le roi Alphonse d’Aragon ait espéré escalader la ville par cette échelle de pierre ponce suspendue. Ça, jamais ! Je le donne à des singes. C’est un escalier pour colimaçons.

On entre à Bonifacio par une descente assez rapide encaissée entre deux murailles de marne blanche, et l’on débouche tout de suite sur la Marine. Cette Marine est un long bassin, assez semblable à la pièce d’eau des Suisses à Versailles, merveilleusement abrité de tous les vents de la rosace, mais dont l’entrée est trop étroite pour que les vaisseaux de haut tonnage consentent à se risquer dans son goulet. Cet inconvénient sera la fortune de Porto-Vecchio peut-être, car là, la rade est également admirable, mais l’abord est pratique, même pour des bateaux de guerre.

Un petit fortin génois orne le bassin de Bonifacio et découpe sa gentille silhouette au pied de la citadelle. Il m’a paru que la Marine était un grand en-