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tres sans perdre une goutte des liquides pacificateurs. Un verre suffit d’ailleurs : il remplit tout l’espace aérien et respirable.

Ce vieux Sartène est extrêmement pittoresque. Je pense qu’il ne voit jamais le soleil, à aucune heure de la journée, et que la lune est le seul astre qui l’éclaire. Les enfants y sont assez pâles, et quand la barbe leur pousse, c’est sans doute la barbe de capucin, amie des caves et floraison des salpêtres. J’imagine encore que lorsque, à l’âge voulu, ils courtisent leur voisine, ils n’ont qu’une chaise à mettre dans la rue pour grimper chez cette fiancée. Ainsi dut faire, dans l’antique Vérone, ce Roméo, amant de Juliette, qu’on nous donne pour un grand gymnasiarque.

Et ici une question se pose. À l’époque du roi Théodore, il n’existait point d’autre Sartène que ce vieux Sartène impraticable où l’on ne peut ouvrir son volet sans boucher la rue. Or l’histoire nous dit que les Sarténois portèrent ce roi en triomphe ! Je voudrais bien savoir comment ils s’y prirent, malgré leur enthousiasme. Il n’y a pas de place, vous dis-je, pour un parapluie ouvert, à plus forte raison pour un roi constitutionnel, que diable !

Ce Théodore, roi légendaire de la Corse, étrange aventurier allemand, dont l’aventure ressemble aux abracadabrances historiques du Tintamarre, on vous montre ici sa maison royale. Mais comme elle est occupée par des locataires, il est bien superflu de la visiter, d’autant plus qu’il n’en reste que les murs, et nous nous en dispensâmes.

Elle n’est pas inscrite d’ailleurs, et pour cause, parmi les curiosités de la ville. Les Corses vous savent gré de ne point leur parler de Théodore.