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fabuleux où les Titans attaquèrent Jupiter et roulèrent foudroyés, j’imagine que ce cimetière ressemblerait aux Calanches.

Nous les traversâmes par un splendide coucher de soleil, suivi d’un crépuscule si étrange qu’il semblait être le jour naturel et nécessaire de la nécropole fantastique. Une demi-clarté brune, on eût dit souterraine, vernie encore de lueurs pâlissantes, laquait les contours des rocs. De grands pans d’ombre profilaient, en les élargissant, les formes et les silhouettes burlesques que l’imagination se plaisait à préciser, et toutes les rêveries de la fièvre prenaient corps et se réalisaient, bouffonnes ou terribles, à nos yeux hallucinés.

Et nous arrivâmes à Piana dans l’état de gens qui viennent de voir des fantômes.

Piana est un bourg important, où quatorze cents créatures de Dieu jouissent du bienfait de la vie et des charmes de la civilisation. Je n’y ai rien remarqué qui vaille la peine d’être signalé à l’attention des voyageurs, si ce n’est l’inscription de son église, qui est un modèle de cette littérature scolastico-latine à laquelle s’adonnent les RR. PP. Jésuites, et qui nous a valu les Rapin et les Santeuil :

Munera si quæris rebusque levamen in arctis,
Ingredere huc matrem corde rogare Dei.


Si tu cherches des bienfaits et un soulagement à tes peines,
Entre ici prier de cœur la mère de Dieu.

Le distique est daté de 1792, et non signé. C’est cela de gagné sur Horace et Virgile.

À la vérité, Piana ne m’a laissé d’autre souvenir