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vent. Les rochers verdoyants, où s’entortillent les lianes odoriférantes, sont piqués de lézards innombrables et tels des pelotons d’aiguilles. De lentes processions d’escarbots traversent la voie, semblables à des défilés de moines en cagoule. La chaleur n’est soutenable qu’à cause de la brise de mer, et tout à coup on entre dans le défilé des Calanches.

Le défilé des Calanches est illustre, et il a toujours passé, non sans raison, pour le chef-d’œuvre de la nature dans l’île. Les guides le préconisent, presque au dam de tous les autres sites, et pas un Anglais ne manquerait de le visiter, car ne l’ayant pas vu, il croirait n’avoir pas vu la Corse.

Il aurait raison. Quoique je leur préfère la scala di Santa Regina et ses dramatiques déchirures, il n’est pas douteux que les Calanches méritent leur gloire européenne.

C’est l’entassement de Pélion sur Ossa. Une sorte d’éboulement céleste de granits de couleur, de toutes formes, de monolithes ronds, ovales, carrés, oblongs, en dés, en arêtes, en cuvettes, en tibias, en champignons, en gourdes, que sais-je ! une muraille de la Chine sèche et sans ciment, que la lumière crible par tous les trous, les millions de trous où logent des millions de petits sauriens, amis défiants de l’homme.

Le vent de mer use et polit singulièrement les cailloux de cette avalanche immobile. Il lui prête l’apparence d’un amoncellement colossal d’ossements tombés d’une planète voisine, dont les peuples auraient cent coudées. On y distingue des squelettes tout entiers.

Si l’on retrouvait sur la terre le champ de bataille