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cavaliers montés sur ces petits chevaux corses qui sont les fils de l’Aquilon, comme les coursiers numides de Jugurtha, nous barra le passage.

Ils étaient une centaine, armés de tromblons menaçants, et paraissaient, de loin, assez rébarbatifs. Nous mîmes pied à terre, indécis de leurs intentions, et l’idée d’une aventure à la Gil Blas nous traversa la cervelle. Allions-nous donc être obligés d’en découdre pour passer ce pont ? Notre jeune chef allait en tête, fort résolu à faire honneur à la filiation d’un grand-oncle dont la vie militaire avait commencé à « celui » d’Arcole, lorsque, à sa vue, une décharge d’artillerie formidable éclata dans les airs, attestant d’intentions pacifiques, — et même enthousiastes ! Ces Corses expriment tout par coups de fusil, et surtout le plaisir de vous voir.

Les jeunes gens d’Aléria, comme les jeunes filles de Calenzana, étaient venus saluer à leur manière le fils du prince populaire et toujours aimé dans la Balagne. Ils nous escortèrent, en façon de piquet d’honneur, pendant quelques kilomètres, et jusqu’au golfe de la Girolata, dans une apothéose fulminante.

Écarlate, ce fiord ! Il s’entaille dans de gigantesques falaises de corail, de rubis et de grenat, dont aucun coloriste n’oserait imposer la splendeur à la routine ignare des gens de goût.

Toute la côte est telle pourtant, et la gamme des rouges y chante ses harmonies de feu, à peine amorties par les apaisements de l’ombre. Le vert des maquis exalte encore ces tonalités réellement incandescentes.

Le golfe de Porto, plus aveuglant encore, est comme le développement du thème de coloris. C’est