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Si je pouvais y entraîner une demi-douzaine de peintres, ils en auraient pour dix ans à exploiter son thème décoratif et tous les motifs sur lesquels il se développe. Cette ruine est un enchantement pour des yeux d’artiste. Style, caractère, formes et couleur, tout y est, et la nature même semble avoir inventé des végétations particulières pour en rehausser les fantaisies. J’ai vu là des graminées étranges, des floraisons pendantes, des lichens et des pariétaires inconnus et qui défient le botaniste et ses herbiers. Mais ils défient bien davantage le peintre et ses brosses par la diversité des tons, l’harmonie, la surprise des silhouettes et l’intérêt des jeux de lumière.

Je me suis assuré, par précaution, que l’on pourrait y vivre, malgré la pénurie extrême des pauvres habitants — cent soixante-sept — qui disputent leurs décombres aux oiseaux et aux rats. Car ils ne sont plus que cent soixante-sept dans cette ville autrefois riche et puissante, dont les fortifications attestent la grandeur passée. On y vivrait même fort convenablement, et nous y avons fait un déjeuner charmant, chez une digne femme qui tient un petit cabaret dans la rue principale. Elle mit pour nous ses provisions d’hiver au pillage. Je regrette fort d’avoir perdu son nom. Mais s’il s’installe jamais une station de peintres à l’Algajola, je lui promets de lui en procurer la pratique.

Entre l’Algajola et Calvi on trouve un important village, appelé Lumio, dont la situation est superbe et qui ferait encore la joie des peintres. Il étage sur un versant ses maisons blanches et lumineuses, que domine un vieux donjon démantelé et flanqué de