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ment les trois physionomies de la ville improvisée. Ici c’est Venise, là un marché Louis XVI, et plus loin une anse délicieuse à la façon des petites criques liguriennes. Si on y joint un mail de province orné d’une fontaine que surmonte un buste du créateur de l’Île-Rousse, le portrait serait complet en quatre touches.

Je me hâte d’ajouter que les habitants sont des gens charmants, affables et serviables, et que l’hôtel Degiovanni, où nous descendîmes, est supérieurement tenu par une excellente dame, énergique et habile cuisinière, qui soutient, elle aussi, la broche au poing, la lutte héréditaire contre la cité génoise.

C’est à l’Île-Rousse qu’il faudrait venir vivre si l’on voulait passer l’hiver en Corse ; tout y abonde, tout y est bon, et les pêches s’y font miraculeuses. Notamment pour les homardivores et les langoustophages, l’Île-Rousse est le paradis. Elle en envoie tous les lundis des bateaux à Nice, sa voisine d’en face qui lui rit dans le miroir de la mer.

À quatre ou cinq kilomètres de l’Île-Rousse et avant d’arriver à Algajola, on se fait généralement arrêter par les voituriers à un endroit de la route où se trouve l’une des curiosités de l’île de Corse, le monolithe d’Algajola.

C’est une énorme colonne de granit, gisante encore sur son lieu d’extraction, et qu’on laisse là depuis plus d’un demi-siècle, faute de pouvoir la transporter plus loin. La mer est à soixante mètres de là cependant, et il semble qu’un ingénieur (il y en a de si habiles !) n’aurait qu’à la pousser sur un radeau. Les frais sans doute seraient considérables, mais le bloc qui forme le soubassement de la colonne Vendôme