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Je n’étais pas assis sur le pliant depuis dix minutes que le gardien du môle, homme de douane, vint à nous, et ce dialogue s’engagea, morose :

« Qu’est-ce que vous faites là ?

— Vous le voyez, de la peinture.

— Qui êtes-vous ?

— Un peintre apparemment.

— Où est votre livret ? (Silence.) Si vous êtes peintre, vous devez avoir un livret. Montrez-le.

— Il y a peintres et peintres ! intervint M. Escard.

— Qu’est-ce que ça représente, votre machine ?

— Mais, expliquai-je en rougissant, le donjon, les fortifications et le jardin, du moins autant que possible. Du reste je ne vends pas cher !

— Hum ! » fit le douanier.

Et je vis passer nettement dans ses yeux le soupçon de l’espion prussien !

« Ça y est ! dis-je à M. Escard. Nous allons être lapidés ! »

L’homme du môle esquissa un geste violent.

Et il courut à la Marine. Déjà les galopins du port se groupaient, agités et méfiants, autour de nous, et sur les ponts de bateaux une rumeur menaçante se propageait.

« Vite, dis-je à Escard, allez chercher du renfort. Cette scie de l’espion prussien est toute-puissante sur les masses, et le danger est d’autant plus grand qu’il est plus bête. »

Je poursuivis mon aquarelle pour me donner une contenance, et j’affectai même d’allumer une pipe ; mais je n’étais pas sans inquiétude. Le port était en brouhaha véritable. Le douanier revint avec d’autres douaniers, suivis d’une foule considérable. Ils me