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On n’aime guère la peinture à Bastia, ni même les peintres. Je n’en veux pour preuve que l’état réellement scandaleux où la municipalité laisse, à l’hôtel de ville, les toiles léguées par le cardinal Fesch. Je vous avoue que je suis sorti outré de ce monument.

Que ces toiles soient toutes bonnes, non certes, et il y en a même d’exécrables, mais qu’on laisse ainsi pourrir sur les murailles une collection dont l’ensemble constitue encore un fonds de renseignements sur la peinture italienne de second ordre, voilà qui arrache au plus calme des imprécations. C’est pire ici qu’à Corte même, et j’ai vu dans le poste de police une dizaine de natures mortes trouées comme un crible par les colichemardes des sergents de ville.

J’avais, du reste, le matin même, été, pour ainsi dire, préparé à ma stupeur indignée du « Musée » de Bastia par un événement significatif. Désireux de profiter du temps frais et lumineux pour rapporter de la ville quelque souvenir coloré, disons franchement une aquarelle, j’étais allé, en compagnie de M. Escard, m’installer au bout du môle avec mon petit attirail d’amateur.

De ce point, en effet, la vue était charmante et formait tableau. Le « maschio » ou donjon quadrilatéral de la vieille citadelle, avec ses hautes murailles d’ocre rouge, sous lesquelles les verdures du jardin public dessinaient leurs allées en terrasses, un joli château d’eau à gradins, les outremers changeants des eaux profondes du port, au fond les montagnes violettes, au premier plan une petite corvette bleu d’ardoise, tout cela sollicitait les pinceaux, et d’un plus habile que votre serviteur.