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tia. Il y a représenté pendant trente ans le goût du continent et Paris. Il fut le Corse en habit noir ! — Jamais il ne quitta cet habit symbolique, et oncques il ne coiffa autre coiffe que le gibus sublime qu’on lustre et rafraîchit pour cinquante centimes. Inutile d’ajouter, bien entendu, qu’il n’eut foi qu’en la cravate blanche, et que ses souliers furent, jusqu’au dernier jour, vernis.

C’était un grand vieillard sec, allègre, rasé de frais, qui vivait pour et par la correction absolue, sauf qu’il passait sa journée assis dans la rue sur une chaise, devant sa porte, à attendre les voyageurs. Riche, notable et influent, populaire et conseiller municipal, il ne dédaignait pas de servir à table les hôtes de qualité que la Providence lui envoyait, et, le repas fini, il s’asseyait avec eux à la table, faisait monter ses liqueurs de choix et ses cigares, et il leur parlait… de Paris !

Il était de ceux pour qui Paris est le nombril de la terre. Il soupirait en disant : « Le boulevard ». Je n’ai point rencontré de mortel plus sincère dans sa croyance aux viveurs de nuit. Pauvre M. Staffe ! Puisqu’il est parti de ce monde où sont les divines Folies Bergère, que le bel uniforme démocratique qu’il y porta lui soit là-haut, devant le Juge, une circonstance atténuante ! Il n’en aura pas eu besoin si Dieu met dans les justes balances la bonne tenue de son hôtel de France, la propreté de ses chambres, la douceur de ses lits, la richesse de ses caves, le confort et la politesse et le céleste plat de murènes de la Biguglia aux échalotes ! L’ensemble de ses vertus vaut une assomption en paradis complète, cravate blanche comprise !