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mer eux-mêmes, tant qu’ils peuvent, pour leurs trois sous le litre, de cette eau régénératrice qui les fait vivre cent ans et les remplit de force et d’allégresse.

À Piedipartino, dans l’Orezza, l’armurier à qui j’achetai un stylet corse, m’ayant entendu parler du « vert d’Orezza », marbre fameux, que Charles Garnier a employé pour le nouvel Opéra, et dont on admire des colonnes entières à la Villa Médicis, s’offrit à nous en procurer.

« Venez », dit-il en prenant un marteau.

À un quart d’heure de là sur la route, il s’arrêta devant des blocs abandonnés et gisants au coin d’un pont, et il en détacha à coups redoublés quelques parcelles. « Voilà ! fit-il. C’en est ! »

Et c’en était. Rien de plus précieux que ces jolis granits gris, lardés de pistaches, qui sont aujourd’hui la gloire de ma collection minéralogique. Quand on pense qu’on les trouve en surabondance sur les chemins et qu’il n’y aurait qu’à en prendre ! Quelle maison on aurait avec cela, ô mon Charles Garnier, maison d’émeraude et de malachite ! Si jamais je suis riche !…

C’est en revenant de Piedipartino, chargés de nos premières pierres, que nous passâmes dans un village dont le curé ne disait plus la messe.

Les pauvres paroissiens, endimanchés et leurs livres à la main, étaient rassemblés autour de l’église, mornes, la tête basse, dans le plus profond silence. La cloche n’avait point sonné l’office. Les portes étaient closes. Qu’était-il donc arrivé ?

Oh ! rien. Les gendarmes étaient simplement venus le matin arrêter le curé dans son lit, sous inculpation de vendetta !…