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heureux curé du canton, ayant eu l’imprudence de fulminer en chaire contre ces rois de la montagne, se vit un soir enlevé par les deux frères et traîné de cime en cime jusqu’à la Pintica. Là, il jura de ne plus les « éreinter », et même de faire amende honorable à leur sujet le dimanche suivant devant ses ouailles. Ils le ramenèrent le samedi toujours de cime en cime, à son église, y entendirent le lendemain la messe et la rétractation, prirent une prune à l’eau-de-vie au presbytère et décampènent. « Si non è vero, bene trovato, caro mio perceptor. »

À trois kilomètres du bourg jaillissent les eaux ferrugineuses et gazeuses d’Orezza, dont la célébrité est européenne, et justement, selon moi. La source est située au fond du vallon, et l’on y descend à pied de même qu’on en remonte. Pas une voiture pour les malades. C’est absurde, car la station thermale y est tout indiquée, dans un paysage magnifique. Il est vrai que les eaux appartiennent à l’État, qui y envoie quelques soldats atteints de fièvres au Tonkin. Les plus épuisés sont sur pied en quinze jours, car la puissance thérapeutique de cette source est quasi miraculeuse. J’en ai bu un verre, dans la vasque rougie de l’établissement, et j’ai eu la sensation immédiate de la Jouvence. C’est de l’orezza que Méphisto a versé à Faust.

Le monde malade viendrait ici de tous les coins de l’univers se retremper et s’activer le sang, si l’accès de la fontaine enchantée était seulement possible, et si on trouvait à se loger dans les environs. Mais l’incurie des intéressés n’est comparable qu’à la résignation fataliste des habitants. « Il faut passer la mer ! » disent-ils. Et ils se contentent d’en consom-