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Il était bossu, ce qui est nécessaire pour avoir de l’esprit. Je n’en sais pas davantage sur ce Triboulet corse, dont le patriotisme d’ailleurs ne le cédait à celui d’aucun de ses compatriotes.

Le « palazzo di Corte », ou maison Paoli, est un monument à deux destinations, qui contient à la fois l’école et la prison de ville. Ajoutez-y, s’il vous plaît, le musée.

Dans la partie affectée à la prison, et qui est la base de l’édifice, je vis, le jour où je m’y rendais, un spectacle assez étrange. Un malheureux alcoolique ramassé la veille au soir dans le ruisseau, s’était accroché par les mains et les pieds aux barreaux d’un soupirail, et d’une voix effroyable, centuplée par la sonorité des rues, il hurlait frénétiquement : « À boire ! » Toute la ville en était remuée.

Impossible de le faire taire. Hérissé, convulsé, livide, il demandait de « l’eau » depuis près de 14 heures. On apercevait de la rue des bras de gardiens qui lui tiraient les jambes et tentaient de le dégrafer du grillage. Jamais rien de plus terrible ne m’est apparu sur la terre que ce supplicié douloureux en proie à une torture inouïe, et posant, sans s’en douter, une figure splendide des cercles dantesques.

On lui avait pitoyablement tendu des gourdes, mais il n’avait pu les saisir. Il ne les voyait pas. Il hurlait, suspendu comme un singe à sa cage, et sans doute, dans les steppes tremblants du delirium, il voyait passer devant lui des nappes d’eau délicieuses, fraîches et claires, qui clapotaient entre les rives.

Des enfants montaient à l’école.

Cette prison de Corte est, du reste, maudite et vouée aux dieux infernaux par tous les Corses.