Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

lisent guère que des bamboches. L’instinct de la forme y reste obscur, le sens de la beauté en est absent. Aucun Giotto ne dessinerait, dans le sentiment, sur la neige, le profil de sa chèvre préférée.

J’ai acheté de l’un d’eux une poire à poudre en racine de bruyère sculptée ; elle représente une tête d’officier à moustaches, celle du « brave général » peut-être, car le boulangisme sévissait ferme, en Corse, pendant notre excursion, et les chromos de propagande empoisonnaient les murs de tous les cabarets. Cette poire à poudre est assez déconcertante. Le Corse n’aurait-il d’autre idéal que l’idéal militaire ?

Il ne m’a pas été donné, à mon grand regret, d’entendre un « vocero », qui est un chant funéraire, la plupart du temps improvisé par les femmes sur le cadavre de leurs morts. L’usage s’en raréfie d’ailleurs de plus en plus, et les vocératrices qui restent encore sont connues par leurs noms dans les cinq arrondissements. Fort âgées déjà, elles ne forment déjà plus d’élèves.

J’ai pu constater cependant, notamment à Calvi, ainsi que je le conterai plus loin, que la femme corse est véritablement douée du don de l’improvisation lyrique.

À l’Île-Rousse, quelques jeunes gens se concertent encore pour donner des sérénades. Sont-elles originales, et sortent-elles de l’imagination propre des joyeux enfants de la Balagne ? Voilà ce dont je ne saurais décider, n’ayant pas eu le temps d’étudier la question. Ces sérénades cependant, entendues de loin, me parurent rythmées à l’italienne. Elles sentaient le troubadourisme moderne des quintettes ambulants de la Rivière de Gênes.