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offrait point d’autres à Chloé. Mais les continentaux profanes et peu bucoliques le traitent comme un « petit suisse ». Ils le broient dans du rhum avec du sucre, et ils perdent ainsi, palais blasés, tout le plaisir pastoral de son goût élyséen. Je ne crois pas que le « broccio » aurait un grand succès chez Chevet, fût-il de Bastelica même.

Il m’a semblé même qu’à Corte déjà, où on le paye encore deux francs le pain, il perdait un peu sinon de sa renommée, du moins de son crédit.

Du reste le « broccio » a toujours été, et il est encore, une gourmandise, et on ne le sert que dans les grands hôtels et sur les tables aristocratiques.

Le commun a son fromage courant et de consommation journalière, le « caccia ». C’est une effroyable rondelle de roquefort aigre et puant le bouc, et que Vincent Bonnaud proposait d’atteler à notre landau pour les montées. Il l’avait même baptisé du nom explicite et comique de « fromage de renfort ! ».

La race corse n’est pas artiste et il ne lui a manqué que de l’être pour que son histoire, pleine de Marathons et de Salamines, et riche en Miltiades, en Thémistocles et en Épaminondas, importât autant à l’humanité que celle de la presqu’île hellénique.

Hélas, l’île héroïque n’a ni poètes, ni peintres, ni statuaires, ni musiciens, et pas même d’architectes.

Le peu d’art que son petit peuple, si intellectuel cependant, dégage, vient du maquis et des montagnes, et c’est de l’art primitif, en enfance, informulé. Les bergers, dans leurs solitudes alpestres, au bord des lacs glacés, s’occupent, sous le lourd manteau de poils de chèvre, à ciseler grossièrement des nœuds de merisier pour en faire des pipes. Mais ils ne réa-