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lon aromatique de vin de Corse où il entre du poivron, de la tomate, des piments rouges, de l’ail à foison comme il sied, du vinaigre et du poivre, du poivre, du poivre.

Point de safran, ce qui m’étonne.

J’ignore combien de minutes doivent cuire ensemble les éléments de cette terrible composition ; mais quand on l’a avalée, on a l’enfer dans le corps. Dante lui-même en serait malade !

Le succès de la « peveronata » fut considérable à Corte, même dans cette population sobre qui se nourrit d’une polenta de châtaignes. On constata, en effet, qu’elle altérait tellement qu’il fallait boire au moins pendant un jour et sa nuit pour apaiser la soif qu’elle déterminait.

Et les caves se vidaient d’autant pour la vendange de l’année suivante !

Hélas ! depuis 1872, les pauvres Cortésiens, attristés par le fléau qui les a ruinés à demi, ne font plus de « peveronata ». Comme disait M. Pierraggi, ce n’est pas la truite qui manque, c’est le reste !

Pour remplacer cette bouillabaisse « abolie » nous priâmes notre hôte de vouloir bien nous procurer du « broccio ». Quoique la saison fût bien avancée, il nous en promit pour le lendemain, et il tint parole.

Le « broccio » est le mets national et le régal de la Corse. Il est célèbre entre tous les fromages, et qui n’en a pas goûté ne connaît pas l’île.

Les bergers le fabriquent de la pure crème du lait de leurs chèvres, dans des corbeilles de jonc ; il est de la couleur de la neige et parfumé de tous les arômes légers du maquis. Sa fraîcheur est délicieuse et sa saveur virgilienne. Daphnis assurément n’en