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sur nos assiettes, ramassés à pleines mains par les petites-filles de la vieille aux yeux morts.

Au loin, des bruissements de cascades déchiraient le silence de la montagne.

Et puis des coups de feu tirés aux étoiles par les parents et amis de nos hôtes et centuplés par les échos, allaient réveiller les sangliers dans leurs bauges et les renards dans leurs gîtes.

Quelles santés ne portâmes-nous point aux êtres chers, avec ce vin de Corse, doré comme le Xérès, fort comme l’Alicante, et qu’Horace eût aimé !

Quelles chansons jusqu’à minuit et quelles histoires aussi, de farouches histoires de bandits à la fois implacables et débonnaires, dont les méchants gendarmes entravent la liberté héroïque et les amours naturelles, et qui ont résolu le problème de prendre sans voler et de tuer sans assassiner !

La cime blanche du monte d’Oro, que le prince Roland allait escalader à l’aube naissante, scintillait à travers les branchages, diamant gigantesque, et nous apercevions, distinct comme en plein jour le petit fortin génois, agrafé au flanc du pic et lui bouclant sa ceinture de pins.

Sournoisement, je sortis de l’auberge en pleine nuit, et je m’en allai sous bois vers le petit bastion génois.

Jamais je n’oublierai la senteur de cette forêt de Vizzavona, la nuit.

Pas un souffle de vent n’agitait la masse des pins et des mélèzes ; au-dessus de ma tête, dans le sillon lumineux dessiné par les allées du parc sauvage, d’invisibles archers lançaient des étoiles filantes, qui passaient les pics et s’en allaient tomber, avec des courbes immenses, en mer.