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mon conseiller général d’Ajaccio voulait savoir si j’étais marié !

Ces deux filles de Jacques Bellacoscia, l’une blonde et l’autre brune, sont les types accomplis de la beauté corse. Elles rachètent d’un seul de leurs cheveux tous les péchés de la famille.

Prétextant de la surabondance des vivres que nous avions hissés à cette altitude vertigineuse, je priai les deux rieuses de nous faire l’honneur de les partager avec nous ! Hélas ! leur refus fut formel.

La femme corse ne s’attable point avec les maîtres ni leurs hôtes, elle se borne à les servir, et, malgré mes supplications, je n’obtins d’elle que cette gênante faveur.

Pendant que les jeunes cousins dressaient la table, en plein air, sous une treille chargée de grappes et bien en vue des cavernes, elles firent toilette et s’endimanchèrent.

Et comme nous marchions depuis cinq heures du matin, Marthe apporta l’omelette fumante.

L’étrange déjeuner tout de même, quand j’y songe et digne de la brosse d’un Salvator Rosa, sur les bords de ce précipice, avec ces envolées d’aigles au-dessus de nos têtes !

Les molosses des Bellacoscia connurent ce jour-là les délices, ô Lyon, de la pelure de tes saucissons, et la fillette les sucreries ajacciennes.

Marthe m’avait rendu ma pipe, et les deux splendides créatures, la fée blonde et la fée brune, nous versaient à boire comme dans les festins des dieux.

Et c’est ces bonnes gens, pleins des vertus d’Abraham, intelligents, fiers, beaux et généreux, que la gendarmerie traque et persécute, pour une applica-