Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout d’un coup l’androgyne, qui marchait en avant portant un faix de bois sur les épaules, fit un bond prodigieux sur la droite, et glissa sur une pente presque à pic au bas de laquelle roulait un torrent.

Les jeunes Corses l’imitèrent, et nous dûmes en faire autant. Je n’arrivai, pour ma part, au torrent qu’en me retenant aux troncs de quelques braves châtaigniers plantés là par la sainte Providence. C’était l’entrée du maquis. « À la vôtre ! » me cria Marthe en lampant à sa gourde une forte gorgée de rhum. Et elle alluma un autre cigare.

Je me hâte d’ajouter ici qu’elle en fuma deux douzaines avant notre arrivée au Palais-Vert, ils lui servaient de fanaux sur les pics pour nous guider.

Mais quelle escalade !

Je comprends que les pandores corses y regardent à deux fois !

Parvenu aux bords écumants de la Gravona, torrent sublime, mais sans ponts, il nous fut déclaré que nous avions à le traverser deux fois, et cela aux endroits mêmes où il roule si furieusement qu’il charrie des blocs de granit ! « Faites comme moi ! » nous cria l’hermaphrodite. Et nous la vîmes bondir encore de blocs en blocs, telle une truite enveloppée d’écume, son éternel cigare au bec. La vérité qui pousse l’empereur Frédéric à dire qu’il est Barberousse, dans Les Burgraves, me contraint d’avouer que si une planche habilement jetée d’un bord à l’autre ne nous avait aidés à passer cette Gravona diabolique, jamais je n’aurais déjeuné avec les filles des Bellacoscia, sous la menace des flingots invisibles.

Le torrent deux fois traversé, au milieu d’un bac-