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rejoignîmes notre escorte dans un cabaret du village.

Elle se composait de trois personnes, choisies à deux fins : d’abord pour nous guider à travers le labyrinthe du maquis, et ensuite pour nous y tordre le cou s’il y avait lieu, c’est-à-dire si nous nous révélions tout à coup comme mouchards après avoir été présentés comme touristes.

C’était d’abord un solide gars de vingt ans, d’allure délibérée, aux traits aussi purs qu’énergiques, un propre neveu des Bellacoscia ; puis un autre, son cousin, non moins redoutablement découplé, et enfin un être bizarre et énigmatique, sans âge, sans sexe, qui portait à la fois jupes et culottes, et dont le nom, fameux dans toute l’île, est Marthe.

Cet androgyne, assis à une table du petit cabaret, fumait un des cigares courts et gros, pareils à un pouce d’estropié, qui sont particuliers au département et berçait sur ses genoux une fillette qui l’appelait « ma tante » et paraissait d’ailleurs l’adorer. Or, cette Marthe au menton fleuri était le guide que nous allions avoir pour monter à la Pintica.

Elle embrassa sa nièce entre deux bouffées et dit : « Partons » !

Les deux jeunes gens sanglèrent leur cartera, ou ceinture de cartouches, passèrent leur fusil en bandoulière et nous déguerpîmes par le potager du cabaret.

La gendarmerie dormait encore ; mais pour dérouter tous les soupçons, nous avions expédié le mulet chargé de vivres du côté de la forêt de Vizzavone, et, rétrogradant sur Ajaccio, nous en suivions innocemment la grande route, sans avoir l’air de nous connaître, à des distances inégales.