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fausse piété, au quatrième acte, devait également être sacrée pour de véritables artistes de lettres, car elle parachève l’étude et la couronne de ce quelque chose de plus qui est la marque des talents élevés. Or, toutes ces scènes ont été tronquées, trouées à jour et scribouillées. De quel droit, de quel droit, de quel droit ?

Il y a eu un temps, en France, où un Fréron n’aurait pas permis de tels massacres de la pensée sans protester, et le jour approche où le public se chargera lui-même de nous sauvegarder notre liberté contre les coupeurs de chiens et les tondeurs de chats qui vont en ville.

En attendant, le public que nous avons, averti par la critique qu’il doit siffler, vient siffler, même aux coupures. C’est le même que j’ai vu, à la première d’Henriette Maréchal reconduire Horace et Lydie de Ponsard, qu’on donnait en lever de rideau, croyant que c’était le premier acte des Goncourt. Il préluda, ce soir-là, aux mardis de M. Perrin.

On a reproché aux Corbeaux de manquer d’intérêt et de trop nous mettre sous les yeux l’ingrat spectacle de la vie réelle. Mais les hommes d’affaires n’habitent pas l’azur, que je sache, et les corbeaux ne planent point. Quant au défaut d’intérêt, je regrette que personne n’ait fait ressortir l’art extrême avec lequel Henry Becque extrait un drame poignant des événements les plus simples et les plus ordinaires. C’est par l’intérêt au contraire que l’œuvre vaut, et de ce côté il y a tour de force. Point d’artifices, point de ficelles. Nulle double porte, aucune lettre perdue. Rien de ce qui fait pâmer les imbéciles aux pièces de M. Sardou. L’émotion ici naît du choc des caractères