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vertes, elles mesuraient un empan de deux mètres, et il n’était pente verticale et croulante qu’il n’arpentât en se jouant, la fleur aux dents. Comme le prince Roland est lui-même un grimpeur de puissantes guibolles et qu’ils étaient déjà dans les nuages quand nous étions encore dans les vallons, nous les attendions au bord des petits lacs abondants en truites et nous leur pêchions le repas du soir. Le maître revenait en loques, écorché vif des pieds et des mains ; Eugène n’avait pas un pli au faux-col, et au départ, il nous demandait de suivre à pied les calèches et leurs haridelles d’apocalypse pour se « dérouiller les mollets ».

— Nous venons pourtant de faire 2.700 mètres d’altitude ! soupirait Roland.

— Pardon, relevait Escard, 2.729 et trois centimètres, à vue de neige.

— C’est peu pour Votre Altesse, observait le faucheux de montagne.

— Eh bien, Eugène, je vous offrirai le Mont-Blanc.

— 4.810 ! chantait l’orographe inspiré.

— Le Gaurisankar alors, dans l’Himalaya. On ne va pas plus haut sur la planète.

— 8.839, exactement, et c’est dommage.

— Pourquoi ?

— J’aurais aimé le chiffre rond, les 8.840. Dieu aurait dû faire ça pour la science.

Et devisant ainsi autour du petit lac, comme autour d’un surtout d’argent, nous boulottions truites et bartavelles, dans la sensation pleine de la saine vie sauvage, la seule qui vaille d’être vécue.

Quant au mouflon, gibier d’hypothèse, au bout de six semaines de chasse aussi vaine que distraite, nous