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Au fond, et si l’on disait toute la vérité, personne n’aime la chasse. Ce n’est pas vrai qu’il soit amusant d’occire ce qui vole, ce qui se terre et jouit de la vie, dans les plaines, les monts et les bois. Celui qui ramasse une pauvre perdrix, à la douce plume encore chaude, a beau s’infatuer de joie : il se sent lâche et se mire, stupide, dans les yeux du chien complice. Il n’est bon chrétien qui n’ait la carnassière honteuse. Napoléon à qui on ne peut pas reprocher, je crois, d’avoir été sobre de sang, répugnait à ce sport d’oisifs qui déshonore les automnes du ciel de France et rougit le tapis d’or de leurs feuilles. Ces Austerlitz de faisans et ces Iénas de lapins, rabattus aux sons du cor, sur l’air du roi Dagobert, lui semblaient mornes et sans gloire, en ceci que l’ennemi n’y opposait d’autre stratégie défensive qu’une fuite indigne du nom de retraite. Au bout de cinq ou six coups de pure étiquette, d’ailleurs sans résultat, il repassait le tube à Cambacérès, qui en qualité de légiste, aimait le gibier sans défense. En fait de chasse, l’Empereur ne goûtait que la chasse à l’homme, la bonne, celle dont il fut le Nemrod.

Vous ne m’ôterez pas facilement de l’idée que les chasses présidentielles, au retour protocolaire, apparaissent aux Washington de la Nôtre comme des corvées du métier pseudo-royal qu’ils exercent. La tradition, si puissante dans notre peuple, fou de son histoire, leur impose quelques devoirs représentatifs où ils jouent leur popularité ; celui d’être un beau fusil marche de pair dans la fonction avec celui d’être un beau verre. Il faut feindre, mon Président, et tuer les grives dans les vignes, il vient des rois à Rambouillet.