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est parfaitement arbitraire, et le sieur de Buffon, tout grand naturaliste qu’il est, prend sur lui de l’attribuer à la nature. Rien ne prouve qu’il y ait des bêtes propres à la servitude, ni le chat, ni le chien, ni le cheval, ni le chameau, ni la vache, ni la poule, ni le porc ni le mouton lui-même. Subjugués, oui, par une suite séculaire de perfidies, d’abus de confiance, de violences lâches, et réduits au commerce de l’homme, seule bête féroce que Dieu ait faite et signée telle, voilà ce que l’on peut en dire. Les autres se sont bravement soustraits au joug et nous tirons dessus : voilà la chasse.

Lorsque l’usage universel de la traction mécanique aura rendu le beau cheval échevelé aux pampas, steppes et forêts de l’origine, ou, si l’on veut, de la sortie de l’Arche, cette « conquête » de l’homme (vous le voyez, Buffon dit « conquête ») sera-t-elle récompensée de ses services immémoriaux par la paix dans la liberté ? Laisserons-nous le coursier, fidèle ami, courir joyeusement au soleil, paître l’avoine folle et se reproduire à la saison nouvelle ? Poser la question c’est la résoudre, comme on dit en style parlementaire. On chassera le cheval. Pourquoi ? Parce qu’il ne subira plus la tyrannie humaine, parce qu’il sera inutile et prendra de la place sur la terre, d’ailleurs aux trois quarts inhabitée. J’espère bien alors qu’il se défendra contre la bête féroce et ingrate que lui symbolise le charretier et qu’il démontrera de la sorte l’erreur de la classification zoologique des bêtes, en domestiques et sauvages. Ah ! sauvages vous-même, qui répondez déjà par l’hippophagie avouée et étalée à ce présent du progrès, l’automobilisme !