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air, sans artifice de clair-obscur. C’est ce qu’a osé faire Henry Becque dans ses Corbeaux. Il s’est défendu passionnément d’opposer à Teissier et à Bourdon l’un de ces militaires pleins d’honneur et de délicatesse qui interviennent à l’heure dite pour démasquer leur fripon et essuyer les larmes de la jeune fille. Dans la vie réelle, ces militaires n’existent pas : en art dramatique, ils sont niais et ne satisfont que l’idéal des cabotins, retapeurs de scénarios et scribolâtres.

Dussé-je en périr, jamais je ne me lasserai de crier que le public n’est pas appelé à collaborer aux œuvres de théâtre. Je ne suis pas de ces critiques qui reconnaissent au spectateur le droit de caser « son ingénieur » dans nos conceptions. Il n’est pas là pour dire comment il aurait traité, à la place de l’auteur, la situation que cet auteur lui propose ; il est là pour décider si cet auteur a tiré tout le parti possible, selon son propre tempérament, de la situation proposée, et voilà tout. Et j’en dis autant des critiques, mes confrères, qui tournent au gâtisme pédagogique avec leur sympathie pleine d’escargots. Il faut en finir avec cette furie du tout fait, du tout appris et des règles. Quelles règles ? Je n’en connais pas d’autre que la grammaire. Ah ça ! est-ce que vous vous imaginez qu’il a tout moissonné, votre Scribe, et qu’après ce bourgeois, il ne nous reste plus qu’à tirer la langue ?

Henry Becque, ayant un sujet triste à traiter, n’a pas éprouvé le besoin de l’égayer. Non pas que la recette ne fût pas à sa disposition : il pouvait, tout comme un autre, faire bondir des fantoches au travers de son drame ; mais il a jugé que s’il égayait son