Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

nous avions le Tartuffe. Dira-t-on que je l’invente ? »

La première fois que je lus ce passage, si explicite déjà pour qui sait lire entre les lignes, des Mémoires de mon quintisaïeul, je fermai le manuscrit avec épouvante. Quel secret impossible était-ce là, comment imaginer que Molière n’eût existé qu’à titre de valet de chambre et que pour le reste tout en revînt au personnage mystérieux dont l’énigme est un des casse-têtes ténébreux de nos annales ? Vraiment les maîtres de l’esprit humain n’avaient pas de chance, depuis Homère qui, au lieu d’être un, était plusieurs, en passant par Shakespeare, vague palefrenier inconsistant, jusqu’au fondateur de la Comédie-Française dont l’institution devenait ainsi une blague immense ? Qui est-ce qui les faisait en ce monde, les chefs-d’œuvre consacrés et perdurables devant lesquels on s’agenouille de génération en génération et surtout pourquoi les Jacques-Pierre qui les faisaient se cachaient-ils de la postérité sous des loups de velours ou de fer où l’on ne voyait plus que leurs bouts du nez impersonnels ?

Et pendant quelque temps je fus très malheureux. La science me gagnait. En mes insomnies je rêvais que je dépeçais la gloire. D’ailleurs je ne comprenais pas très bien quel intérêt avait eu Louis XIV à interner si cruellement son frère pour cause de transcendance littéraire, ni le rôle que Molière jouait dans cet imbroglio. Les Mémoires du maître queux ne devaient pas laisser de m’en instruire. Voici :

« Hier, dans les fosses de la Bastille, on a recueilli un document étrange. C’est un plat d’argent sur lequel étaient gravés au couteau douze alexandrins d’une pièce intitulée : Alceste ou le Misanthrope. Le