Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des pauvres auteurs dramatiques tantôt en Roger Bacon, tantôt en lord Rutland ou sous tout autre forme tympanisante. Le voulez-vous, dites, le voulez-vous que Shakespeare n’ait jamais existé ? Si vous saviez comme cela soulage de le croire.

Théodore de Banville, qui était un sage et dans toute la force du terme antique, avait trouvé une façon admirable de se débarrasser de l’obsession triséculaire du grand gêneur d’outre-Manche. — Cher ami, l’identité de Shakespeare ne saurait être douteuse. Comme Balzac, il était tourangeau et pour les mêmes raisons ! Il émigra en Angleterre parce qu’il ne pouvait pas faire jouer ses pièces à Paris. Du reste, c’est bien simple, mâchez-vous l’anglais ? Si vous le mâchez, prononcez : Jacques-Pierre comme on fait à Londres, vous avez : Shakespeare. Il y a encore des quantités de Jacques-Pierre en Touraine, et la Loire en déborde, mais on les prononce autrement, voilà tout.

Ce fut sous l’éclair de cette démonstration fulgurante que la pensée me vint d’établir par la même méthode la véritable identité de M. Scribe pour laquelle je trouvais que la France était froide. Je ne sais quel instinct me poussait à y débrouiller une incarnation de M. Thiers, son inquiétant contemporain. Je m’entourai de preuves sans documents et de documents sans preuves et je portai au Figaro la révélation scientifique, de ce vichnoutisme dont un chartiste m’eût envié la logique rigoureuse. Je dois dire que l’effet de ce « Caliban » fut déplorable. Gaston Calmette, qui venait de prendre la direction de l’organe, pliait sous l’avalanche de plaintes dont quelques-unes posaient le dilemme du désabonne-