Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au deuxième étage de la maison qui forme l’angle de cette rue et celle de Buci — ceci pour la plaque commémorative. C’était Théodore (de Banville) qui me menait en visite chez le poète, lequel, à la vérité, ne l’était guère, du moins à mon avis. Mais Michel Lévy lui avait acheté et payé cinq cents francs la propriété des Scènes de la vie de bohème et on ne vit pas longtemps, même à deux, sur cinq cents francs. — Cher ami, me disait Théodore, qui était bon… comme la lune, on en boit trop en ce moment chez ce charmant Murger, trop, de l’eau glacée de l’Arétuse ; allons lui porter une outre ou deux de ce jus de pampre que presse le divin Bacchus. Vous êtes éditeur, c’est votre fonction terrestre.

« Mimi était mariée. Je pourrais vous dire, s’il ne vivait encore, le nom de l’honnête menuisier qu’elle portait à l’état civil. Elle s’était séparée de lui à l’amiable, c’est-à-dire à peu près comme Baudelaire à la Croix-Rouge d’avec la Vénus Noire, et pour les mêmes raisons. Elle avait la tête trop forte pour le buste, des cheveux blond châtain, et de grands yeux bleu pâle un peu éteints par la phtisie qui la rongeait, aidée à la corrosion par la noce, n’en doutez pas une minute. Son teint en rendait à la cire. Vingt-quatre ans à cette époque.

« Elle mourut à l’hôpital de la Pitié, dans le service du docteur Clément, section des tuberculeux, où Murger fut forcé de la laisser aller. Il gagnait alors trente francs par mois au Corsaire et ne trouvait à en économiser que les deux sous du bouquet de violettes qu’il lui porta fidèlement tous les jours, jusqu’à sa rentrée dans le sein miséricordieux du Grand Tout. »