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fricassée de lapins aux carottes !… — Et il le pile comme chair à pâté dans la fournaise. N’est-il pas singulier que ce personnage de Basile soit celui que le peuple ait retenu du Mariage de Figaro et dont il ait adopté le type ?

Après Basile, d’autres exacteurs, voleurs, accapareurs et concussionnaires défilent à leur tour devant Georges qui les embroche, entre le Juge sans voix et l’Avocat sans gestes, avec la litanie de gueule afférente à chacun d’eux. Tous, en dernière injure, sont traités de carottiers. Quelle éloquence de haine dans cette monotone invective qui résume tout pour la plèbe. Carotter, c’est pis que tromper, c’est abuser de l’ignorance des simples, de la confiance des bons, de la misère du pauvre monde. Arène a raison, nous sommes en plein moyen âge, et c’est le mystère de Gringoire sous Grévy, notre Louis XI.

Voici M. Grain d’Orge, l’accapareur traditionnel des blés, le traitant affameur et père des famines, que le peuple n’a pas pardonnées — ni, on le voit, oubliées. Douleur si vivace que le terrible Georges n’hésite pas à associer au supplice du boulanger le pauvre mitron irresponsable des fraudes de son maître. Voilà du comique fort, et Georges y monte à une hauteur shakespearienne. C’est une création extraordinaire que cet engueuleur poissard, la synthèse vivante de l’ulcération des âmes dans les basses classes, leur Desgenais, ou mieux, leur Diogène. Exécuteur à la blague des sentences de l’inégalité en révolte, il a le verbe argotique et nombreux des opprimés sociaux et le rire faubourien des titis d’amphithéâtre, et son jeu de hallebarde fourchue en dit plus long que Proudhon et Karl Marx.