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Une barque apparaît sur la rivière. Elle est pleine d’hommes et de femmes nus, serrés par l’épouvante. Un vieux batelier à barbe fleurie godille dans les poix et les glus, et les amène. Une voix s’élève : « — Errez, victimes de l’amour, errez, misérables et infortunés adultères, errez, errez !… »

Et ils passent. L’Avocat n’a pas fait un geste pour les défendre. Le Juge s’abstient de les condamner.

Dans l’auditoire populaire, l’effet de cette exposition est profond mais il diffère. Les femmes béent, les hommes rigolent.

Une autre barque, un enfant ailé à la proue, un Mathusalem à la poupe. C’est l’amour qui fait passer le temps. La barque vire et se retourne. Le Mathusalem est à la proue, à la poupe l’enfant ailé. C’est le temps qui fait passer l’amour. Ce thème de pendule et son calembour décoratif sont expliqués par la voix de stentor. Le Juge ni l’Avocat ne bronchent, mais le sourire court les gradins. Je regarde Arène. — Eh bien, quoi ? — C’est de la poésie à six sous, me jette-t-il, celle du prix des places.

Le fond de la scène s’ouvre et dessine un brasier grillagé comme une cage d’où s’échappe un pétillement d’étincelles. Le Juge et l’Avocat sont toujours là, inutilités poignantes ! Un diable surgit, la fourche à la main. Il se présente : — Je suis Georges ! — On lui fait une entrée enthousiaste. Il n’y a point à douter de son crédit immense. — Vous savez ma fonction, l’alimenteur du brasier !… — Ah ! s’ils le savent ! — Le premier qu’il y pousse est Basile, le type de l’hypocrite avéré, et ce qu’il l’engueule… préalablement, miséricorde !… — Eh ! va donc, carottier, lui crie-t-il, oui, carottier, ta vie n’est qu’une