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les deux bords de l’avenue de Neuilly les baraquements variés, sonores et pittoresques de nos fêtes communales, et, la soirée étant fort belle, il s’y accumulait une foule énorme. Elle formait surtout cohue devant un théâtre de roulotte aux dimensions coliséennes, arrondi en cirque, qui, selon l’argot de métier, ne désemplissait pas. Nous n’entrâmes qu’à la troisième tournée en jouant des coudes. L’affiche, comiquement enluminée d’un vaste Épinal de diables aux fourches sanglantes, annonçait la pièce sous ce titre simple et sans boniment de réclame :

L’ENFER, PAR M. CANARD

— Quel est cet auteur ? dis-je à Paul Arène. — En métempsycose, Pierre Gringoire, petit-fils d’Holbein et arrière-neveu du Dante. Assieds-toi, et prends des notes. Tu vas le voir et l’entendre, ce peuple qui veut du neuf au théâtre !

Et je notai ce qui suit.

Une chambre de l’Enfer chrétien, souterraine, mystérieuse, éclairée d’une lumière sans foyer, sans rayonnement, concentrique, purement fantomatique. Une sorte de ruisseau stygien, aux ondes mercurielles, clapote et bave sa lave sur des bords plats. Rien ne distrait l’œil de ce paysage infernal, que n’animent ni les floraisons empoisonnées, ni les bêtes d’apocalypse, ni les vols de lémures, de stryges, ou de larves des féeries. Un ruisseau en fusion dans une oubliette, et c’est tout.

Deux silhouettes démesurées se dressent. L’une est celle du Juge, l’autre de l’Avocat ; tous deux en toge noire et en barrette. Immobiles. Muets. Gigantesques.