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distrait en train de peser de la cassonade sur ses balances. C’est un vers comme une flatuosité est de la voix humaine.

J’avance et mets en fait que si un domestique se permettait, chez vous, de vous parler comme les marquis parlent aux duchesses dans les comédies rimées du répertoire moderne, soit par système de proportions alexandrines, entrecoupées d’un hoquet régulier d’abord et d’un bruit imitatif ensuite, vous n’hésiteriez pas à le flanquer à la porte, attendu que ce domestique serait atteint d’un tic insupportable. Le ménage le plus heureux aurait droit au divorce, s’il ne pouvait s’exprimer son amour que par cette cadence tympanisante qui est l’hexamètre hydrocéphale et rabique. L’Inquisition a tout osé en fait de tortures, mais elle n’aurait pas osé enchaîner un hérétique à un bourreau scandant la prose tout le temps comme nos prosopoètes nous la scandent au théâtre, les misérables, pour nos plaisirs !

Certes, entre deux accusations déplorables, j’aimerais mieux encourir celle d’avoir substitué nuitamment le dôme des Invalides à la coupole de l’Institut que celle de manquer de déférence pour l’illustre école des prosopoètes comiques. Et j’entends par prosopoètes comiques ceux qui font représenter des comédies rimées, les autres n’étant que des prosateurs. La comédie en vers, au dix-neuvième siècle est un tel merle blanc que même celle qui n’est ni comédie, ni en vers, mérite déjà l’attendrissement, et l’obtient. Quand elle se manifeste, le public crie au martyre, et la critique, intimidée, parle tout de suite de la Légion d’honneur ! La critique, en effet, est si bonne fille qu’elle s’imagine que le vers prouve