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III

J’estime que la réelle erreur des producteurs de comédies actuels est de n’avoir pas rendu les armes, tout de suite, à ce grand vers hyperbolique, monté sur les échasses du drame et drapé dans ses fantaisies. Ils ont méconnu sa loi, si raisonnable, d’abracadabrance. Et pourtant elle s’imposait à un siècle gris, terne, triste, rongé de la lèpre du neutre et imbécillisé à demi par l’angoisse des réalités. Ils crurent qu’à ce siècle bourgeois, il fallait le vers bourgeois, le vers adverbial et proverbial, le vers sans tain, transparent, incolore, laissant voir la prose de la vie, le vers indéclamable, sourd, sans rythme, honteux de la rime qu’il traîne et de son pauvre bruit de cymbales fêlées. À l’abracadabrance, ils opposèrent la cuistrerie. Par terreur du rire empanaché, ils inventèrent le rire en madras, en bonnet de coton et en ceinture de flanelle ; par horreur du vers tragico-comique, nous eûmes le vers pipelet ! Pour ne pas écrire : tabellion ! ils écrivaient : notaire ! les prosopoètes ! Et telle fut la réaction.

Car la comédie en vers, telle qu’on l’accepte aujourd’hui sur nos théâtres littéraires, est peut-être de la comédie en vers, mais en vers comiques, non pas ! Il serait irrespectueux de dire que, malgré les rimes, elle reste en prose. Irrespectueux pour la prose, s’entend. La phrase symétrique qu’emploient nos prosopoètes, à la fois familière et pompeuse, pourrait être émise dans la vie réelle par un épicier