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Le gai Fernand Samuel s’offrait ma poire, malgré lui, je le jure, mais il se l’offrait, flagellé par la force occulte qui les mène et les doue. Jouer La Nuit Bergamasque, est-ce qu’il le pouvait, puisqu’il en avait dénoncé la réception, fatalement, en aveugle, du destin, au siège social de notre corporation ? Il en serait mort, comme l’autre, le millionnaire récalcitrant, foudroyé par son ananké directoriale, proie de la justice immanente. Je ne voulais pas que la justice immanât sur l’homme charmant à qui l’on devait La Parisienne, d’Henry Becque.

Aussi me fit-il envoyer vainement quelques bulletins de répétitions dont je conjurai le maléfice par une absence assidue. Parfois, le soir, enveloppé du manteau crépusculaire, je m’asseyais à la terrasse déserte du café Frontin, et j’y guettais le passage de Georges Feydeau, alors secrétaire de la Renaissance et qui, à cinq heures sonnant, avait épuisé ses mille regrets du jour. J’apprenais de lui l’état des choses et que personne n’était venu, ni Paulin-Ménier, ni Réjane, ni la courtisane idéale du Caire, et qu’en les attendant, on répétait à tour de bras un fort vaudeville dont on n’avait pas encore les trois actes, suspendus à la plume des trois auteurs. — Est-il reçu, demandais-je pour rire ? — Vous ne le voudriez pas, vous êtes trop bon confrère. — Et il me dépeignait l’activité prodigieuse déployée par son admirable directeur dans la mise en scène de ce vaudeville dont le titre seul, d’ailleurs provisoire, était connu de ses interprètes.

— Il faut le voir à l’avant-scène, réglant tout et le reste. Sa tête en fume au-dessus du légendaire chapeau de paille sans fond, presque sans bords, dont il