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nuscrit arraché aux camarades du Palais-Royal, ce pince-sans-rire de Samuel s’était mis frénétiquement à en commander les décors, les costumes, les accessoires et à distribuer les rôles à mains pleines. — On doit bien cela à Boccace, me souriait-il sous le lorgnon, car il est fort bon lettré en outre, et pourrait parfaitement, s’il voulait, décider de la valeur littéraire des meilleures comédies, anciennes ou modernes. Je me rappelle que, sans même avoir lu la mienne, il télégraphia au Caire pour retenir à prix d’or la comédienne qui, seule, pouvait créer le rôle de la courtisane. Il n’en voulait point d’autre et m’en ménageait la surprise. Puis d’un bond, il s’élança au téléphone. — Allo, allo ! C’est vous, ma chère Réjane ! Venez vite à la Renaissance. C’est Fernand Samuel qui vous parle. Un rôle magnifique, quoiqu’en vers. Ça ne vous fait rien, à vous, n’est-ce pas, de vous passer le nez au jus de pipe ? Une négresse, non, mais une créole. L’auteur est dans mon bureau, il vous expliquera sa pensée.

Puis, sans me laisser le temps de m’étonner : — Quant à l’avare shakespearien de la pièce, vous avez carte blanche, courez chez Paulin-Ménier. Il demeure à cent pas d’ici, boulevard Beaumarchais. Il est cher, mais pour une création en vers, il diminuera son cachet. Hein, Paulin-Ménier, scandant l’alexandrin, c’est un clou ça ! Vite, ne lanternez point, voilà l’heure de l’absinthe et il ne la manquerait pas pour du Molière !

Si poète qu’on soit, on a des éclaircies. L’idée de la diction de Paulin-Ménier dans l’hexamètre dépassait l’altitude des plus hauts paradoxes, et elle me rappela au sentiment des contingences moyennes.