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traquenard de ce bon tour, la coquette avaricieuse se voit contrainte, par le regard soupçonneux du mari, de remettre l’argent reçu à la caisse. Et ce fut ainsi que Gulfardo eut à l’œil donna Ambrogia, belle bourgeoise de Milan.

De ce conte, ou plutôt de la situation qu’il met en œuvre assez sommairement, il me semblait que l’on pouvait tirer les éléments d’une de ces comédies de répertoire, ou, si l’on veut, de tradition, dont Molière et Regnard ont emprunté les thèmes, non seulement aux conteurs italiens, mais à Boccace lui-même. En outre, disciple fervent et résolu des maîtres du vers romantique, qui repose sur la rime et en ajoute l’attrait sonore au comique des classiques du rire, j’étais hanté de sacrifier à cette bonne Thalie française, aussi haute que loyale en verbe, méconnue des notaires d’art dramatique et à peu près bannie de nos scènes. Je m’attelai donc résolument à ce travail joyeux et, sous les auspices tutélaires des poètes dont je relève, j’écrivis La Nuit Bergamasque.

Je reconnais qu’il faut être un peu fou pour se payer le luxe d’une débauche littéraire telle que La Nuit Bergamasque lorsque, père de famille ayant charge d’âmes, on se doit tout entier aux contingences immédiates du pain de chaque jour. Mais ce qui était digne de la camisole charentonnesque, c’était d’en porter le manuscrit à la Comédie-Française et de charger Picard, l’huissier de porte d’Émile Perrin, de le remettre, avec ma carte, à ce directeur. Émile Perrin détestait les poètes, même les pires. Ce n’était pas sa faute, la nature l’avait créé pour ça visiblement, des pieds à la tête. C’était le type de ceux qui croient que « la forme rimée » est une adul-