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d’hui pour le parangon de la comédie moderne, et il n’avait dû qu’à la sagacité d’un amateur de la voir représenter de son vivant et toute espérance perdue.

C’était en 1885 et comme il datait de 1837, il avait donc quarante-huit ans lorsque lui échut cette aubaine. Il y avait pourtant trois hivers que par la seule force du talent il avait, en passant sur le ventre à Émile Perrin, enfoncé les barrières de la Comédie-Française, enlevé comme à la baïonnette les ænobarbes du Comité absurde de lecture et donné aux Lettres cette superbe étude : Les Corbeaux, où nous ressuscitait un Balzac, ni plus ni moins. Dans tout autre pays que le nôtre l’homme de ce chef-d’œuvre eût été, le lendemain de la première, comblé d’honneurs et de fortune, et tous les lustres auraient tintinnabulé son nom. Nous ne fûmes pas cent dans la salle et dix dans la presse à saluer l’évidence de cette maîtrise. Émile Perrin redressa son ventre prépotent, les vieilles barbes d’airain reformèrent leur carré, et tout fut dit et consommé ainsi qu’il est écrit par le Dieu qui, sur les pièces de cent sous, mais là seulement, protège la France. Et Becque en revint à ses épigrammes.

L’amateur qui, après la chute de Les Corbeaux et sur la foi de cette chute même, s’emballa pour le grand méconnu, était un jeune affolé de théâtre qui, précurseur d’André Antoine, avait réuni une troupe de cercle pour jouer la comédie et excellait lui-même à ce jeu. Il s’appelait Fernand Louveau. Je le voyais souvent à l’Odéon pendant les répétitions de Le Nom et je ne me doutais guère qu’il allait, à son tour, devenir sous le nom de Fernand Samuel, l’un des directeurs les plus libéraux, ou les moins illibéraux, si