Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et ses sourcils se froncent. Il se recule de deux pas. C’est la brouille. Il n’y a pas à badiner avec ce rembrandtolâtre fakirisé. Je remonte au Trippenhuis, et que la fillette au coq aille dans le sens qu’il lui plaira ! Troisième visite.

L’éducation d’art que nous recevons en France ne s’est pas encore libérée de l’influence italienne. Elle répond d’ailleurs au sang latin qui nous bat dans les veines. La puissance d’expression se réalise en Michel-Ange et en Raphaël, la limite du clair-obscur est atteinte par le Corrège, et déjà Léonard nous semble un peu diabolique. La Renaissance domine toujours l’École. Le beau en art, dans tous les arts, ne nous acquiert qu’à la condition d’être clair et simple, presque comme un lieu commun, et appuyé de tradition. Nous en jugeons débattivement à l’emploi des moyens ratifiés, pédagogiques, que nous divisons en deux forces plastiques : Dessin et Couleur. Si l’on arrive à comprendre par quel procédé Véronèse est un coloriste sans pair, le critérium tombe devant Rembrandt et l’on s’affale sur le divan de W. Burger. Qu’est-ce que c’est que cette peinture-là ? — C’est celle du nord, de ses gens et de leur ciel gris et tourmenté.

De fait il faut traiter de la « Ronde de nuit » comme d’une vision. C’en est une. Apparition fumeuse, estompée par les ténèbres brunes, bitumineuses, transparentes, agrandie par la fièvre, où les formes flottent, ébauchent des gestes fantomatiques, se colorent de tons surnaturels et hors palette, elle relève des choses du sommeil, c’est un songe. Ses porte-arquebuses sont impalpables, leur réalisme même est irréel. L’enfant au coq, avec ses pierreries d’in-