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d’âne, un chien aboie furieusement et se jette dans les quilles des hallebardiers. Un jeune garçon, perdant la tête, lâche dans le tas un coup de mousquet dont son voisin se gare. À gauche un autre galopin s’élance en avant de la compagnie, fier de la poire à poudre dont il est porteur. Une bousculade enfin, mais bien hollandaise, et réglée dans son désordre, comme un tableau vivant. Je ne sais pas d’ailleurs si les vingt-trois y sont et j’avoue que je ne les ai pas dénombrés.

Au centre de la toile et de la cohue rayonne la fameuse petite fille au coq, l’une des quadratures du cercle de l’historiographie picturale. Personne n’a jamais su, compris ou deviné ce que cette fillette emperlée et vêtue comme une dogaresse, vient faire dans la « Ronde de nuit », ni pourquoi elle en traverse le remue-ménage, son coq d’or à la ceinture. Il y a d’ailleurs auprès d’elle un autre enfant à peu près invisible et aussi inexplicable, qui doit être un garçonnet, à moins que ce ne soit une ombre portée de la petite fille.

— Eh bien, fait Kæmmerer, y es-tu ?

— Ça vient. Ce qui me chiffonne, c’est la fillette au coq.

— Un rappel d’or du tambour.

— Oui, mais elle va de gauche à droite tandis que tous les autres personnages vont en sens inverse, de droite à gauche. Pourquoi ?

— Parce qu’elle passe.

— Et l’unité de mouvement ?

— Y en a-t-il dans une rue ? On s’y croise. Et puis qu’est-ce que ça te fait ? Est-ce que par hasard tu raisonnes ?