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chevalet à manivelle qu’on relevait ou penchait, selon l’heure du cadran, pour le mettre au point visuel. Or, comme la presse « gueulait » trop, on a supprimé le chevalet mécanique, et la « Ronde de nuit » est au clou, sans métaphore. Ça, c’est un municipe, à la bonne heure, et qui ne se laisse pas embêter par ses électeurs. Du reste il est doublement sage. — Si l’on voyait la « Ronde de nuit » comme du Véronèse ou du Titien en Italie, dans toute la clarté du jour, personne ne viendrait plus à Amsterdam pour en jouir sur place, dans le rite esthétique voulu. Qui dit : Rembrandt dit : clair-obscur ; qui dit : clair-obscur, dit Rembrandt, et nous sommes en plein dans son génie. — Ainsi raisonnent ces échevins au bout de leurs pipes et m’est avis que, si c’est le flegme qui les leur bourre, c’est la logique qui les leur allume. Ils sont plus rembrandtesques que Rembrandt, ce dont je défie qu’on les blâme.

Donc on ne voit pas la « Ronde de nuit » au Trippenhuis[1], on la devine, ou, pour dire juste, on la débrouille confusément, comme une apparition spirite, les rideaux clos, fuligineuse. De telle sorte que ma première impression a été celle d’une blague immense, une blague de bonzes ; je suis donc sorti sans lutter davantage.

Eh bien ? interroge Kæmmerer.

— Eh bien, non, voilà tout. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est pour moi la bouteille à l’encre.

— Bravo, sourit-il, toi au moins tu es honnête.

  1. Écrit en 1877.