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tique. Les documents les plus certains ne prévaudront pas sur les conditions pittoresques par lesquelles le souvenir d’un grand homme se grave en traits distincts dans l’esprit de la postérité.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs que de ces terribles cabarets de Saint-Bavon une merveilleuse école de peintres allait sortir dont Frans Hals fut le maître et l’initiateur. Si la Hollande peut se glorifier de posséder, et de posséder seule, des maîtres du comique tels que Brauwer et Ostade, tels encore que Jan Steen, que Burger a appelé le Molière du nord, elle le doit à Frans Hals et au bon saint Bavon, qui lui fit le don du rire. Le rire, secret rare et précieux dans l’art, que peu de maîtres ont connu, et qu’il trouva, lui, bien certainement, dans les reflets irisés d’un vidrecome plein jusqu’aux bords et piqué d’un rayon de soleil.

Il existe deux portraits authentiques de Frans Hals, l’un à Amsterdam, l’autre à Harlem. Dans le premier il s’est représenté assis aux côtés de sa seconde femme, Lysbeth Reyniers, sur un banc de gazon, dans un parc somptueux qui pourrait bien être le bois de Harlem. Au fond l’on aperçoit une jolie maison, sur le devant de laquelle des paons picorent en liberté, non loin d’une vasque surmontée d’une statue de naïade. Une autre statue se profile sous les grands arbres. Un couple de promeneurs s’avance vers le groupe qu’il a reconnu sans doute à ses éclats de rire et à ses enlacements amoureux. L’œuvre, en effet, est de 1617, c’est-à-dire d’un an après son second mariage. Lysbeth ne semble pas avoir la moindre peur de son époux : elle lui a posé familièrement la main sur l’épaule et elle sourit sournoisement au