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qu’en artiste, et en artiste épris de certains effets de couleur et de mouvement. Ma nature est ainsi faite : si demain Rubens lui-même m’ouvrait le paradis, qu’il a dû couvrir de fresques et de peintures décoratives, ce n’est pas sur la grand’place que j’irais, mais bien dans les faubourgs de l’Éden. Le côté pittoresque d’une fête publique, c’est son envers, sans calembour, je te prie de le croire.

Au point de vue pittoresque, comme aussi à tous les autres, Anvers est certainement la ville la plus complète du royaume. Elle rappelle le Havre, dont elle a la vie et la couleur maritimes. C’est une de ces rares cités dont un homme intelligent peut dire : j’aimerais à vivre là ! Elle a de grands souvenirs, une histoire glorieuse et ce quelque chose d’heureux que la pratique de la liberté imprime aux habitacles humains. Un bourgeois d’Anvers se reconnaît dès l’abord à la solidité de son assiette et à l’aisance tranquille de son allure. Les maisons y gardent le cachet inexprimable et sensible des choses transmises et héritées ; les innovations du confortable moderne s’y allient dans une proportion discrète avec le respect des choses vénérables du passé. Cordiale est l’hospitalité et sincère la serviabilité. Ces qualités, plus rares qu’on ne l’imagine, malgré l’abus des mots, m’ont paru un peu gâtées par des dissentiments de clocher auxquels les questions religieuses ne sont pas étrangères et surtout par une pruderie de mœurs assez exagérée. C’est ainsi que dès l’ouverture même des fêtes de Rubens, ce puissant naturaliste flamand, un personnage considérable de la ville mettait en vente une brochure traitant « de l’immoralité du nu dans les arts plastiques ». Le moment,