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— Tu devrais depuis longtemps être des nôtres, me dit souvent mon vieil ami Paul Bourget, des Quarante, qui d’ailleurs n’a jamais voté pour moi lorsque je me suis présenté — il est vrai que c’était pour rire — à l’élection académique. Et il ajoute gentiment : — Tu as trop écrit, je le sais, c’est la tare, mais ton mot est d’ores et déjà retenu pour le Dictionnaire, lettre T. — Il sera donc désuet et « inus. » lorsque vous en serez à ladite lettre, car le père Littré l’a dit, le lexique d’un peuple se transforme à chaque révolution sociale. — Oui, fait Bourget, le temps le tripatouille.

Les deux autres mots dont le langage courant m’est redevable, sont le qualificatif de Cabotinville appliqué au landerneau théâtral et celui de soireux, adopté d’ailleurs par ceux-là mêmes qu’il classait et qu’aujourd’hui il groupe. « Cabotinville » est ultérieur, il est né d’un article dans Le Gaulois, présenté à M. Arthur Meyer par mon camarade Octave Mirbeau sous je ne sais plus quel pseudonyme et qui était de mon encre antipathique. On l’utilise encore sur les boulevards, dans les chroniques.

Quant à « soireux », ou soiriste, car on dit les deux, quoiqu’il y ait une nuance, son étymologie se fixe par sa date, il jeta son cri le lendemain de Le Nom, dans Le Voltaire. Si les loups ne se mangent pas entre eux, ils se mordent et j’avais été mordu. Or, j’avais toutes mes dents à cette époque et j’étais cet animal très méchant du vers proverbe qui se défend quand on l’attaque. Les soiristes aujourd’hui sont d’aimables et galants confrères, quelques-uns mêmes de braves poètes, j’en compte plusieurs au nombre de mes meilleurs amis, et pas un d’eux ne s’offensera