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le fatidique, avec l’onction de son personnage.

Le comédien chargé du rôle de l’amoureux (c’était d’ailleurs l’excellent Chelles, qui depuis a fait une belle carrière), submergé de béquets pendant six semaines, écérébré, à moitié mort de fatigue, pataugeait dans la bouillie abominable d’un texte tombé en pâte. À certaine scène passionnée il perdit tête et mémoire et, mimant sa déclaration, pour ne pas la perdre, il en obtint une réalisation si naturelle et préadamite que toute la critique m’en rattacha d’office à l’école de Médan qui dépend du Jardin des plantes.

Et le mariage vint. Et quand ce mariage à succès fut venu, impossible, asinesque, surhumainement bête, tout fut réglé, les loups bondirent et me mangèrent. Ils eurent parfaitement raison. Je ne fus défendu que par mon vieux professeur qui se rattrapa de sa méprise toute sa vie du reste, mais qui croyait que la pièce était de La Rounat. Ô nez infaillible de l’oncle, comme tu boutais sur le vrai du vrai ! Mais Le Nom était surtout de tout le monde, même de moi, je ne sais comment. Et cy finit son aventure. Brisez l’os et sucez la moelle.

Huit ans après, à la fin de juillet 1891, comme j’étais entré pour prendre un cigare dans le bureau de tabac qui fait face au Vaudeville, Chaussée-d’Antin, un vieillard de haute taille qui causait avec la débitante, se retourna brusquement à ma vue, m’empoigna la main et marmonna cette phrase énigmatique : — Tous putains et putaines, toutes maquerelles et maquereaux ! Et il s’en alla. Je ne savais qui il était, de qui il parlait, ni pourquoi il m’adressait inopinément cet apophtegme. Je ne l’avais pas