Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant. J’en connais qui, après les séances, s’en vont malades et se couchent trois jours.

Voilà pourquoi je conservais la lettre, elle me consolait, et hier encore, des déboires successifs et réguliers dont l’institution, bien démocratique celle-là, du jury d’art dramatique, a caractérisé ma modeste carrière. Après chaque refus, je rentrais chez moi, je relisais ma vieille consultation sans ordonnance, et son cri de perplexité me rendait clément pour les pauvres jurés de Napoléon condamnés à « compéter » — si j’ose risquer un tel néologisme — sur des cas d’intellectualité dont la folie n’est pas de chez eux. Remarquez que Got, de tous les comédiens de son temps, était sans contredit le plus lettré, qu’il avait fait des études complètes et lisait Thucydide dans le texte grec à livre ouvert, mais il restait indécis et sans critérium devant la forme et le style, nouveaux au théâtre, d’un essai de jeune homme et s’avouait impropre à y gagner par des coupures la demi-heure qui l’aurait rendu jouable. Et habemus confitentem reum, comme dit Cicéron, qui n’eut de chiche que le pois, dans son discours pour Ligarius, l’un de ses plus beaux, du reste.

Le directeur « à peu près convaincu que m’offrait la chance » était celui de l’Odéon, Charles de La Rounat, mon confrère, à qui j’avais, d’ailleurs sans le connaître, porté le manuscrit. Il m’avait promis de le lire. — Il est impossible, me dit-il, que l’homme à qui Théophile Gautier a donné l’une de ses filles soit une absolue foutue bête ! — Et cet accueil jovial était toute mon espérance. Charles de La Rounat, qui avait écrit lui-même pour la scène, était pour la deuxième fois accrédité par l’État auprès de notre