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cafés, les tavernes, les estaminets sont gonflés, du haut jusqu’en bas, de buveurs et de fumeurs, et surtout de chanteurs. On chante partout : on chante seul, on chante en chœur, on tonne et on détonne comme des possédés. Les sociétés chorales sont en train de concourir cependant ; que sera-ce ce soir, après les prix, quand elles se répandront dans la ville !

Parmi les amuseurs publics qui viennent entre les tables des cafés exécuter leurs tours ou débiter leurs marchandises, j’ai noté divers types assez réjouissants : l’homme-orchestre, d’abord, avec son chapeau à clochettes, sa grosse caisse surmontée de cymbales, surmontées elles-mêmes d’un triangle que surmonte à son tour un timbre, il souffle dans une flûte de Pan à huit trous et de la main tourne la manivelle d’une vielle ; le marchand de coco dont la petite cave de cuivre en forme de castel gothique, est fort originale ; le marchand de « sorbettes » à l’instar de Paris, qui promène bravement son barbarisme sur une voiture à baldaquin ; l’homme à la claque, un bonhomme qui s’envoie des coups de poing formidables sur les dents et imite fort désagréablement le bruit des locomotives ; le marin siffleur, qui joue la Traviata dans une salade de romaine ; une fausse sourde-muette, qui dessine avec ses doigts des choses effrontées ; des marins montrant un phoque au fond d’une barque ; ils ont aussi une de ces têtes de carton dont se servent les modistes et que l’annexion d’une queue transforme en sirène irrésistible ; enfin, les plus caractéristiques, les fraîches campagnardes qui vendent dans des paniers des œufs durs, des crabes et des crevettes. L’œuf dur et la crevette jouent à An-