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devant notre posada, ils avaient tous à la poitrine la castagnette de Sarah Bernhardt — et la laitière d’en face fut coulée.

— Et à présent, qu’avons-nous à mettre à la criée ?

— Madame, saluai-je, c’est le tour des poètes, et voici leur obole.

C’était un album de vers composé de six pièces lyriques autographes des maîtres ès rimes de l’heure imprimées à la main sur chine par Charles Gillot en personne, et tirées à cinquante exemplaires. Victor Hugo ouvrait la marche avec une Orientale transcrite par lui-même et encadrée par Henri Scott ; Martin Rico s’était chargé de la bordure du poème de Théodore de Banville ; Raymond de Madrazo avait « imagé » une séguedille de José Maria de Heredia ; Adrien Marie un sonnet de François Coppée, et Eugène Courboin la déclaration d’amour d’Armand Silvestre aux femmes espagnoles. La sixième page était un dessin de Daniel Vierge autour de « Carmen » d’Émaux et Camées dont j’avais fourni l’autographe ; et c’était autant de chefs-d’œuvre, dessins et texte, un keepsake unique.

Au bout d’une demi-heure, Sarah ne pouvait plus en fournir, à aucun prix, à personne, l’édition était épuisée. Je ne crois pas que beaucoup de bibliophiles possèdent un exemplaire de cet Album de Murcie au frontispice duquel Giacomelli avait donné l’envol à tous les oiseaux de sa volière décorative, et je n’en ai pas vu passer dans les catalogues. Il y en eut trois, imprimés sur soie, que Charles Gillot nous offrit, l’un au directeur, l’autre à l’administrateur et le troisième à la vendeuse de La Vie Moderne. Si, en rangeant ses livres, quelque jour, elle le retrouve,