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— Non, dis-je, et, du sac, comme d’une corne d’abondance, cent paires de castagnettes coulèrent dans les fourrures. Seulement, il y a castagnettes et castagnettes, et celles-ci étaient les « castagnettes de La Vie Moderne ».

Les castagnettes de La Vie Moderne étaient particulières en ceci que, dans chacune de leurs coques battantes, le coopérateur Charles Gillot avait fait coller une petite « paniconographie » sur soie des portraits de nos vendeuses, dessinés par Louise Abbéma. L’un de ces portraits était celui de Mlle Baretta, qui, à son grand déplaisir, avait été obligée, au dernier moment, de céder sa place à la bonne Blanche Bianca, mais l’autre était l’effigie de Sarah Bernhardt. Je ne vous donne pas l’idée pour intrinsèquement géniale, non, mais tout est prétexte à débit dans ces encans de charité et l’important était de ne pas laisser languir la vente, — « verbena », en langue de Cervantes, — dont l’intérêt se détournait un peu de notre pavillon au bénéfice d’une étable où la blonde Théo débitait du lait de « vache espagnole » qu’elle trayait elle-même dans la tasse.

Partant de ce principe qu’un clou chasse l’autre, et piquée au jeu par la flatterie de l’icône des castagnettes, Sarah eut l’une de ces inspirations qui signent les grands stratèges. Loin d’attendre que le défilé des toreros fût terminé, elle se mit à les bombarder au passage avec ces petites cliquettes illustrées. Ils les attrapaient au vol, qui de la pique, qui de l’épée, d’autres à la main ou dans la cape, de telle sorte que le cortège était comme la mise en scène épique d’une course aux anneaux sur les chevaux de bois. Lorsque le cercle du stade les ramena