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Si les artistes de lettres ont droit comme les autres, à une opinion politique, que d’ailleurs l’excellent Platon, au nom de Socrate, leur refuse, il convient de reconnaître que la société se plaît à leur en marchander le libre exercice. Passer sans transition du Bien Public à l’Officiel du 16 mai, et de Thiers au duc, même pour un critique d’art c’était jongler avec la férule, bâton grave. Je ne m’étonnai donc point qu’Ernest Daudet m’accueillît d’abord d’un sourcil sévère. Il avait pensé tout de suite aux portraits officiels, aux grandes tartines académiques, aux commandes pistonnées, dont sa fonction lui commettait la garde et mon nez de salonnier ne lui inspirait pas la même confiance qu’à son frère.

— Il a des adjectifs plein les mains, lui criait le cadet. — Ici, répliquait l’aîné, les adjectifs sont estampillés. Il s’agit de critique d’État. — Il t’en fera, relevait Alphonse, il t’en fera… de la mac-mahonienne !

Je fus tout de même intronisé et pendant plus de six années j’accomplis la besogne la plus stérile du monde où l’on travaille, celle de juger la production d’autrui, au fort détriment de la mienne, et de parler (du nez) au nom de la postérité. Massé, coulé, fine fin fort la bille en tête.

Je me rappelle que mon premier article fut consacré, non pas à Cabanel, mais, je vous le donne en mille, à Zacharie Astruc, l’omni-artiste des soirées de l’hôtel Lamoignon, qui rapportait d’Espagne une icône en bois peint de saint François d’Assise inspirée de Zurbaran. — Passe pour cette fois, me dit le directeur, mais n’allez pas plus loin dans cette voie, l’Institut vous lit ! — Puis, peu à peu, je pris